Accueil Saison 2012 L'automne 1961 à Paris

La répression du 17 octobre 1961

Débats à l'Assemblée Nationale - Archives du "Monde" (1er novembre 1961)

La bête hideuse du racisme est lâchée.

"Comment la police accomplit-elle sa mission et comment lui a-t-on tracé cette mission ? demande M. CLAUDIUS-PETIT (Entente dém.). Elle n'est pas en dehors de la loi. Elle doit être la première à la respecter." L'orateur, qui ne parlera que de ce qu'ont vu des témoins qu'il peut présenter, cite certains faits qui se sont produits à Paris le 17 octobre.

"Une rafle dans le métro : dans la foule un Algérien est interpellé ; tandis qu'il sort ses papiers un agent lui brise son bâton sur la tête ; le sang gicle. La foule murmure, mais passe.

Rue de Vaugirard : des musulmans courent à toutes jambes ; un agent tire une rafale de mitraillette ; trois fuyards jonchent le sol.

Place de l'Etoile : les musulmans sortent du métro, encadrés d'hommes portant des brassards verts. Ceux-ci passent devant les agents, qui ensuite n'arrêtent que 'le troupeau'.

Au Palais des sports : étant donné l'état de nombreux musulmans, on fait appel à des médecins — militaires — qui constituent des équipes avec des infirmiers. Ces équipes se succèdent. L'une d'elles, la troisième, a, du mercredi 18 à 18 heures au jeudi 19 à 9 heures, examiné à elle seule 210 blessés, dont un secrétaire a dressé la liste.

Cela donne une idée, s'exclame M. Claudius-Petit, de l'inconscience des services qui ont incité le ministre à indiquer un nombre total de 139 blessés ! Pendant vingt-quatre heures on n'avait donné à ces hommes ni à manger ni à boire. Ceux qui avaient été parqués dans le local où avait eu lieu l'exposition soviétique ont été découverts par hasard par les médecins ; certains d'entre eux étaient blessés par balle.

La plupart de ces hommes avaient le cuir chevelu fendu et les mains brisées. Quelques-uns avaient les jambes cassées, à la suite de chutes dans les escaliers. Certains sont revenus devant ces médecins, ayant été de nouveau frappés après avoir reçu les premiers soins. Hormis deux douches dont se servent les boxeurs après les matchs, il n'y avait pas d'eau. Le 18, à 23 heures, refus de faire venir des ambulances pour transporter les plus atteints dans les hôpitaux. Les médecins ont dû téléphoner jusqu'à ce qu'un commissaire divisionnaire voulût bien s'occuper de l'affaire.

Tout cela froidement, dans une atmosphère de calme, avec, de temps à autre, des invectives qu'on ne saurait reproduire. La peur s'est emparée des quartiers où vivent les musulmans, mais les meneurs à brassard vert n'ont pas été inquiétés."

Evoquant les déclarations faites récemment devant l'Assemblée par le ministre de l'intérieur, l'orateur remarque qu'elles dénotaient un souci exclusif des intérêts de la police mais non pas de son rôle ni du sort de la population. Quant aux chiffres avancés et à l'affirmation d'une stricte discipline, il préfère ne pas y insister.

Il ajoute : "Les décisions prises par le préfet de police avaient placé l'ensemble des polices sur le terrain d'une lutte fratricide. Chaque gardien de la paix ne pouvait plus se déterminer que d'après la couleur de la peau, l'apparence des vêtements, le quartier. Heureux les Kabyles blonds ! Après la route de l'étoile jaune, connaîtrons-nous celle du croissant jaune ? Nous vivons ce que nous ne comprenions pas que les Allemands vivent après l'avènement de Hitler !

Malgré les interrogatoires avec tortures, nous avons bonne conscience et parlons équipement communal, situation des sapeurs-pompiers. On arrête sans cause, on déporte sans jugement et on remet les mêmes pauvres types entre les mains de leurs persécuteurs. C'est le contraire de notre civilisation.

"On a transformé la lutte entre certains éléments musulmans et certains gardiens de la paix en lutte entre une communauté algérienne reformée et l'ensemble des corps de police. Nous n'osons plus parler des choses qui nous gênent ni regarder en face la violence qui s'accroit.

La bête hideuse du racisme est lâchée. Refermez vite la trappe, monsieur le ministre ! Nous avons entendu dire : 'C'est généreux, la France !' La France ne veut pas perdre son âme."

Quelques applaudissements timides, sur les bancs de l'Entente démocratique, du MRP et divers bancs à droite, saluent cette intervention. Mais M. Claudius-Petit a été entendu dans un silence absolu. Pas la moindre interruption ; pas même un murmure.

M. LE PEN : JAMAIS LE FLN NE SIGNERA D'ACCORD

Premier orateur de la séance du soir, M. LE PEN (ind.) déclare qu'il a été l'un des rares députés à applaudir M. Claudius-Petit. "Comment ne pas s'indigner quand on pense au sort de ces esclaves modernes, astreints aux travaux que tous les autres refusent, logés dans des conditions effroyables, soumis à l'abominable dictature du FLN qui les pressure et les tue, pris maintenant entre l'enclume FLN et le marteau policier ? Triste spectacle que celui de ces hommes encadrés par des meneurs, aisément reconnaissables à leurs imperméables, à leurs brassards verts, à leurs sifflets, et qui, arrachés à leurs misérables taudis, venaient tomber sous les coups de la police ! Mais il serait injuste d'en rendre responsable la police. Chaque policier a lui aussi, monsieur Claudius-Petit, son étoile jaune : cet uniforme qui le désigne aux coups des tueurs."

"Qui est responsable ?", interroge M. Le Pen. Il répond : "Les responsables ce sont l'organisation FLN et le gouvernement qui, en raison de sa politique, ne l'a pas abattue. Si demain le FLN décidait de descendre dans la rue avec des armes — car il en a — qui s'y opposerait ? Jamais le FLN ne signera d'accord. Il désire une victoire militaire en Algérie, et aussi dans la métropole, où il trouve des alliés. Dans ces conditions, le gouvernement va-t-il poursuivre sa politique ? Il n'est pas trop tard pour l'abandonner."

Après MM. THOMAS (MRP) et BLIN (MRP), M. BRICE (UNR) présente quelques observations sur les crédits du commissariat aux rapatriés, dont il a demandé, par amendement, le renvoi en commission.

M. FANTON : ON OUBLIE LES VICTIMES DES TUEURS

M. BATTESTI (Unité de la République) s'étonne de ne pas voir dans le budget les crédits nécessaires au fonctionnement et au rôle du secrétariat d'Etat aux rapatriés. MM. SARAZIN, BOSCHER et FANTON, tous trois UNR, présentent diverses observations. Le dernier traite ainsi des manifestations algériennes de Paris :

"Il s'est dit des choses qui me paraissent excessives. Il s'est produit dans certains milieux la campagne habituelle, lorsque la police ou l'armée paraissent se livrer à ce qu'ils appellent des exactions. Nous serions plus sensibles si ceux-là mêmes qui s'indignent s'étaient élevés contre le terrorisme et s'étaient penchés sur les victimes des tueurs."

Interrompu par M. Claudius-Petit, l'orateur précise que son propos ne visait point le député de la Loire. Il poursuit :

"Monsieur le ministre, vous avez pris les mesures qui s'imposaient pour protéger la population musulmane contre les exactions des terroristes FLN Aussitôt les mêmes — toujours les mêmes — ont crié au racisme, alors que, dans l'Est par exemple, les travailleurs musulmans ont demandé aux pouvoirs publics et aux patrons de les protéger, de disposer des fils de fer barbelés autour de leurs baraquements, pour que les terroristes FLN ne les assassinent pas. Ces mesures, le pays sait que se sont des mesures de protection et non de racisme.

Ceux qui accusent aujourd'hui les forces de l'ordre seraient les premiers demain, si des incidents se produisaient, au cours de nouvelles manifestations, à reprocher au gouvernement d'avoir fait preuve de faiblesse et de n'avoir pas su éviter le désordre ou le meurtre ; ils profiteraient de l'occasion pour attiser la haine et faire en sorte qu'en définitive le racisme s'installe.

Toutes les critiques adressées à la police ne doivent pas faire oublier les conditions dans lesquelles elle travaille ou meurt... Elles ne doivent pas faire oublier que demain comme hier elle fera tout son devoir, puisqu'il y va de la sécurité nationale."

M. MARCHETTI (UNR) signale qu' "à partir de minuit il n'y a plus un agent sur notre Canebière nationale", et M. MIGNOT (ind.) précise qu'en Seine-et-Oise les effectifs de police sont inférieurs à ceux d'avant la guerre et même à ceux de l'an dernier.

M. FREY : JUSQU'À PRÉSENT JE N'AI PAS L'OMBRE D'UNE PREUVE

M. ROGER FREY déclare que le budget de son département est en expansion. "J'aurais aimé, poursuit-il, que l'accent fût mis sur le secteur essentiel des activités de l'intérieur (l'administration générale). Malheureusement les circonstances m'ont obligé à m'occuper en priorité de l'augmentation des effectifs et des moyens d'action de la police."

Le ministre répond ensuite aux diverses questions posées par les orateurs.

M. Roger Frey répond enfin à M. Claudius-Petit : "Il a évoqué, dit-il, un sujet, douloureux entre tous,  je lui répondrai sans passion. M. Claudius-Petit nous a fait un long récit émaillé des horreurs dont, à l'en croire, — il assure en avoir des preuves, — la police parisienne se serait rendue coupable. Ne vous eût-il pas été très facile, monsieur Claudius-Petit, de voir le ministre de l'intérieur, que vous connaissez, qui a beaucoup d'estime pour vous, et, dans le silence de son bureau, de lui apporter vos preuves ? Je vous jure que j'aurais fait le nécessaire et que j'aurais pris les sanctions désirables. Au reste, il n'est pas trop tard encore... Mais jusqu'à maintenant je n'ai pas le début d'un commencement d'une ombre de preuve. Des blessés ? Certes, il y en a eu. Comment n'y en aurait-il pas eu dans une manifestation à laquelle participaient vingt-cinq mille personnes ? Mais, comme je l'ai déjà dit ici, seules la discipline et les traditions d'honneur de la police parisienne ont permis d'éviter des troubles plus sanglants."

 
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